Titre

Grossesse et Chirurgie Non-Obstétricale.

Auteur

R. KRIVOSIC-HORBER

Département d'anesthésie réanimation chirurgicale 1, Hôpital Roger Salengro, CHU de Lille, 59037 Lille cedex, France

    Le risque entraîné par une anesthésie chez la femme enceinte pour une chirurgie non liée à la grossesse, est difficile à préciser exactement du fait d’une part de la rareté des indications et d’autre part, de leur très grande diversité. En ce qui concerne la fréquence, elle est estimée dans une fourchette de 0,14 % à 2 % des parturientes ce qui représenterait aux Etats Unis une population de
5000 à 75000 femmes/an. Si l’ont rapporte ces chiffres au nombre de 4500 grossesses prises en charge à la maternité Jeanne de Flandre du CHR de Lille, on est amené à prévoir 6 à 90 cas/an. La réalité est probablement plus proche de la fourchette basse puisque 15 dossiers seulement ont pu être retrouvés. De très grandes études relativement récentes donnent des informations épidémiologiques. L’une [1] s’est intéressée aux registres médicaux suédois au cours des années 1973 à 1981. 5405 opérations ont été notées dans une population de 720000 femmes enceintes soit un taux de 0,75 %. On retrouve dans cette étude comme dans d’autres, que tous les types de chirurgie sont concernés : digestives (appendicectomie et cholécystectomie), ORL, traumatisme osseux, chirurgie cardiaque, intracrânienne. On retrouve une forte dominance de laparoscopie pour cholécystectomie, appendicectomie et kyste de l’ovaire (34 %) au cours du premier trimestre de la grossesse. La chirurgie abdominale domine sur l’ensemble de la grossesse avec 25 % des cas.

Il s’agit toujours d’interventions indispensables du fait d’un risque vital ou fonctionnel grave.

Les impératifs à prendre en compte pour la prise en charge anesthésique sont : les modifications de la physiologie maternelle du fait de la grossesse, les effets tératogènes des agents anesthésiques avec le risque d’induction de malformation fœtale existant pendant la période d’organogénèse des trois premières semaines de la grossesse, le maintien de la perfusion utérine et de l’oxygénation du fœtus et enfin, la prévention et le traitement d’un accouchement prématuré.

Les situations sont très différentes en fonction du terme de la grossesse, du type de chirurgie abdominale, extra abdominale, de la pathologie nécessitant une chirurgie et de sa gravité avec à l’extrême un cancer évolutif comme le cancer du sein ou une dissection aortique et de l’autre côté, des calculs vésicaux dont on sait qu’ils sont favorisés par la grossesse et peuvent disparaître avec elle.

Dans les premières semaines de la grossesse, le risque de provoquer des malformations chez le fœtus et d’induire un avortement provoqué est au premier rang des préoccupations. Le risque d’induction d’avortement spontané a été montré dans l’étude de [2] Brodsky en 1983. Ce risque ne peut être évalué dans d’autres études comme celles de Mazze qui a utilisé des registres ne prenant en compte que les naissances soit après la 26ème semaine de gestation.

Les agents anesthésiques ont-ils un effet tératogène ?. La question se pose pratiquement exclusivement pour le protoxyde d’azote et les bendiazépines. Le protoxyde d’azote a un effet tératogène chez le rat mais cet effet n’a jamais été montré chez la femme malgré des utilisations sur des grandes populations. On ne connaît pas le mécanisme de cet effet tératogène bien qu’on connaisse l’effet métabolique du N2O qui inactive la synthétase méthionine, ce qui inhibe la synthèse de thymidine et d’ADN, inhibe la division cellulaire et potentiellement perturbe d’autres réactions métaboliques. Les benzodiazépines pourraient également avoir un effet tératogène comme cela a été montré pour d’autres tranquillisants comme la Thalidomide [3]. La Thalidomide dont chacun se souvient du taux très important de malformations observées dans les pays qui l’ont autorisé comme tranquillisant sous la forme essentiellement de phocomélies est un médicament à nouveau utilisé dans le traitement de la lèpre par exemple. L’interdiction d’utiliser chez la femme enceinte doit être très strictement respectée.

Ce risque de l’anesthésie au cours des toutes premières semaines de la grossesse justifie pour de nombreuses équipes aux Etats Unis de recommander un test de grossesse systématique avant toute anesthésie en urgence ou réglée pour les femmes de 12 à 50 ans. D’autres équipes ne le recommandent qu’après un interrogatoire à la recherche d’indices d’une grossesse possible. C’est plutôt cette attitude qui est conseillée en France. Il est sans doute important d’introduire dans l’examen pré anesthésique de toute femme en urgence la recherche de la date des dernières règles. Enfin, pour conclure ce paragraphe sur le risque dans les premières semaines de la grossesse, il est sans doute justifié d’éviter toute thérapeutique non absolument nécessaire y compris la chirurgie dans cette période et cela jusqu’à environ 13 semaines d’âge gestationnel.

L’analyse de la littérature confirme que la période de choix pour une intervention chirurgicale s’il est possible de la retarder, est le deuxième trimestre de la grossesse puisqu’au cours du troisième trimestre, le risque d’induction d’un accouchement prématuré est probablement accru. Pour la chirurgie lourde, cardiaque et aortique et intracrânienne, il est préférable dans l’intérêt du nouveau né de la retarder après la délivrance qui sera dans ces cas habituellement faite par césarienne et cela en respectant si possible un délai de 6 semaines pour obtenir un retour à un état physiologique normal. Cette pratique se fait parfois au détriment de la santé de la mère qui bénéficierait elle d’une prise en charge thérapeutique immédiate. Il faudra là choisir entre l’intérêt de la mère ou l’intérêt de l’enfant.

 Choix de la technique anesthésique

L’analyse de grandes séries comme celle de Mazze ne montre aucune relation entre la survenue de complications qu’elles soient maternelles ou fœtales et le choix de la technique anesthésique. Le type d’anesthésie est l’anesthésie générale chez 54 % des patientes, une anesthésie loco régionale chez 26 % des patientes dont 5 % de rachi anesthésie ou d’anesthésie péridurale. La technique n’a pas été notée dans 32 % des cas.

La pratique de l’anesthésie tiendra compte des modifications physiologiques portant sur la ventilation et les voies aériennes, l’appareil circulatoire et l’appareil digestif. C’est ainsi qu’on donnera des antiacides pour prévention de l’aspiration pulmonaire et qu’on sera très précautionneux pour l’intubation qui peut être rendue difficile par l’œdème des muqueuses et la morphologie de la femme enceinte. A partir du 6ème mois, il faudra prendre en compte la possibilité de bas débit cardiaque par compression aortocave en décubitus dorsal et pratiquer systématiquement le déplacement de l’utérus vers la gauche ou la surélévation de la fesse droite.

On tiendra compte de la baisse de concentration en anesthésiques nécessaires qu’il s’agisse d’anesthésiques halogénés ou d’anesthésiques locaux. L’entretien et le monitorage de l’anesthésie vont privilégier le maintien de l’oxygénation et de la perfusion utero placentaire.

 Prise en charge obstétricale

La participation d’un obstétricien a la prise en charge de la patiente est indispensable dans le but d’apprécier la viabilité fœtale et d’organiser une prévention du déclenchement des contractions utérines. L’obstétricien devra donner son avis sur l’opportunité du moment de l’intervention. Il devra réaliser un examen du fœtus par auscultation des bruits du cœur et échographie. IL réalisera un monitoring fœtal à partir de la 28ème semaine. Cette surveillance fœtale devra être systématiquement remise en route après l’intervention, et répétée aussi souvent que nécessaire. L’intérêt de réaliser un monitoring des bruits cardiaques fœtaux pendant l’intervention paraît évident mais très difficilement réalisable quand il est le plus nécessaire c’est à dire pour les interventions abdominales ou en urgence. On tiendra compte dans son interprétation de l’effet de la sédation et de l’analgésie sur la diminution de la variabilité des bruits du cœur fœtal. Par contre, toute bradycardie doit être interprétée comme un signe de souffrance fœtale et amener à prendre des mesures de correction en améliorant l’hémodynamique et l’oxygénation maternelle.

D’une façon surprenante, bien que le risque de déclenchement des contractions utérines soit le plus important entraîné par la chirurgie pendant la grossesse, les différentes publications ne proposent pas de protocole de tocolyse . C’est ainsi qu’il faudra demander à l’obstétricien de décider en fonction de chaque cas particulier. Cette tocolyse peut être réalisée par du salbutamol en suppositoire ou en perfusion, par du sulfate de magnésie voire par du loxen. Il est raisonnable de proposer une tocolyse post opératoire systématique après chirurgie abdominale de la femme enceinte.

Répercussions sur le nouveau né de la chirurgie non obstétricale pendant la grossesse. L’étude de Mazze comme d’autres études montre que cette chirurgie n’est pas anodine pour le nouveau né. Le nombre de nouveau-nés d’un poids inférieur à 1500 g comme le nombre d’enfants qui décèdent dans la première semaine de vie est significativement plus élevé dans la population de femmes opérées que chez les autres. Le faible poids de naissance est lié d’une part à une prématurité et d’autre part, à un retard de croissance in utéro. Par contre, le nombre de morts nés n’est pas différent. Rappelons que cette étude n’a pu s’intéresser au nombre d’avortement.

Cas particuliers

La pratique de la laparoscopie a montré son innocuité au cours du premier trimestre et même du deuxième trimestre de la grossesse, même si l’utilisation du CO2 pour le pneumopéritoine a été présentée comme dangereuse pour le fœtus justifiant son remplacement par le protoxyde d’azote [4]. De nombreuses équipes utilisent le CO2 sans inconvénient. Il est recommandé d’utiliser la pression de pneumopéritoine la plus basse possible pour éviter la compression de la veine cave inférieure, de mettre des chaussettes pneumatiques pour favoriser le retour veineux, d’utiliser l’échographie plutôt que la cholangiographie au cours des cholécystectomies. Il est très souhaitable d’éviter toute exposition du fœtus aux rayons X. Par contre, l’imagerie par résonance magnétique nucléaire est sans danger [5]. La surveillance du fœtus peut se faire par échographie transabdominale plaçant le capteur dans un manchon stérile. Certains ont même proposé d’utiliser un échographe transoephagien placé directement dans l’utérus ou une sonde transvaginale.

Il peut arriver que la chirurgie concerne le fœtus et non la mère. Des espoirs importants ont été soulevés par la chirurgie fœtale in utéro pour traiter des pathologies diagnostiquées par l’échographie comme des hydrocéphalies ou des hydronéphroses voir des hernies diaphragmatiques ou des cardiopathies congénitales. Les espoirs soulevés n’ont pas été suivis de succès dans l’état actuel des choses.

Conclusion

La chirurgie non obstétricale pendant la grossesse n’est pas sans risque pour le nouveau né essentiellement. Les points positifs sont l’absence de risque de malformation fœtale induite par la réalisation d’anesthésie même pendant le premier trimestre de la grossesse et même en utilisant du protoxyde d’azote. Il est vraisemblable que l’effet délétère sur le fœtus est plus du à la chirurgie et surtout à la pathologie nécessitant cette chirurgie qu’à la pratique de l’anesthésie elle-même. Il reste important malgré la rareté de cette pratique médicale que chaque institution établisse des protocoles concernant en particulier la surveillance obstétricale et la prévention des contractions utérines.

Bibliographie

1.      Mazze RI, Källen B : Reproductive outcome after anesthesia and operation during pregnancy : A registry study of 5405 cases. Am J Obstet Gynecol 1989 ; 161 : 1178-85

2.      Brodsky JB, Cohen EN, Brown BW, Wu ML, Whitcher C.. Surgery during pregnancy and fetal outcome. Am J Obstet Gynecol 1980 ; 138 : 1165-7

3.      Hawkins JL : Surgery during pregnancy. American Society of Anesthesiologists. Annual Refrescher Course Lectures, 2000

4.      Rosen M : Management of anesthesia for the pregnant surgical patient.
Anesthesiology 1999 ; 99 : 1159-1163

5.      Brown MD, Levi AD : Surgery for lumbar disc herniation during pregnancy.
Spine 2001 ; 26 : 440-443